• Chapitre XIII


      La pluie continuait de tomber par petites gouttes, les vagues s’agitaient tandis que le vent prenait de l’ampleur, glaçant le sang de Jordan et de sa famille qui continuait de marcher vers leur destination.  Entre le sable qui les obligeait à plisser les yeux et le vent qui les faisait valser lors de ses souffles brusques, ils avancèrent lentement. Jordan était stupéfait de voir à quel point le temps avait changé en quelques minutes, presque comme s’il voulait les empêcher d’atteindre l’hôpital. Ils ne pouvaient pas trainer, à tout moment, le risque d’être repéré par des relanceurs et de se faire tuer était présent. Lors d’un souffle particulièrement violent, Émilie tomba dans le sable humide, Jordan l’aida à se relever et lui tendit la main afin de l’aider à marcher, le jeune homme regarda en direction de l’hôpital, ils avaient à peine avancé de quelques mètres en dix minutes.  La pluie s’accéléra tandis que la brume semblait s’inviter à la fête, au bout de ce qui lui sembla une heure, Jordan regarda de nouveau vers l’hôpital, ils leur rester une trentaine de mètres à parcourir. Jordan ne les avaient pas vus auparavant mais un groupe de personnes s’approchait d’eux, Jordan ordonna à sa famille de s’arrêter, une fois arrivée près de la famille, l’un des hommes du groupe demanda en hurlant pour que le vent ne couvre pas sa voix :
    « Vous allez à l’hôpital ? »
    Jordan du crier également pour répondre :
    « Oui
    -Bien on va vous escorter »
    Les deux femmes et les trois hommes qui composaient le groupe entourèrent la famille, Jordan remarqua qu’ils étaient bien armés, de grands et longs fusils noirs, leur tenue avaient également un style très militaire bien que ne ressemblant pas aux modèle officiel.. Jordan demanda à l’homme qui les avait accueillis :
    « Comment vous avez su que nous n’étions pas des ennemis ? »
    L’homme souri en répondant :
    « Quatre personnes, très jeunes et très peu armés, soit vous êtes neutres et vous voulez aller à l’hôpital soit vous êtes des ennemis suicidaires. Dans les deux cas on court peu de risques. Par contre, vu qu’on parle des fusils, vous n’aurez pas le droit de rentrer avec dans l’hôpital. »
    Ils arrivèrent devant l’entrée de l’hôpital qui était entouré de barrières de fortune, un homme gardait l’entrée avec un registre dans ses mains, le groupe laissa la famille là repartant surveiller les environs. Le gardien leur demanda sans les regarder:
    «Déposez vos armes dans la caisse de gauche. Raison d’arrivée ?
    -Une fille enceinte
    -Très bien, faux de nom de famille ?
    -Pardon ? »
    L’homme observa Jordan comme si sa réaction n’était pas naturelle, il expliqua :
    « Si vous faîtes bien partis de la même famille on va vous regrouper sous un faux nom, on préfère utiliser des faux noms par sécurité, inventez-en un »
    Jordan réfléchit quelques secondes avant de répondre :
    « Famille Manhu 
    Très bien, on va pouvoirs vous donner deux chambres le temps qu’un médecin soit disponible, je les préviendrai de votre arrivée. Entrez et demandez deux chambres de deux personnes. »
    La famille entra dans une grande salle circulaire, l’endroit était très sombre, plutôt salle et certains murs étaient partiellement fissurés. L’éclairage électrique en mauvais état donnait un aspect verdâtre à l’endroit bien que l’humidité devait aussi en être responsable. Derrière un vieux bureau métallique en partie cabossé se tenait une femme qui consultait une sorte de cahier, lorsqu’elle vit la famille s’approcher elle le rangea et demanda sobrement :
    « Que voulez-vous ?
    -Il nous faut deux chambres pour deux personnes s’il vous plaît »
    La femme sortit un classeur, l’ouvrit et regarda, elle prit un crayon tout en indiquant :
    « La trois-cent-quinze et la trois-cent-seize au troisième étage, faux nom de famille ?
    -Manhu
    -Vous pensez rester combien de temps ? »
    Jordan ne savait pas quoi répondre mais ce fut Mathilde qui répondit à sa place :
    « Je suis enceinte mais on ne sait pas vraiment depuis combien de temps, ça peut être deux mois comme un seul.
    -Je vais noter neuf mois pour ne pas prendre de risque, sachez que par la suite il est possible d’être héberger ici pour les jeunes personnes, notamment les jeunes mères,  en échange de participer au travail à faire. Voici le programme des journées. Les ascenseurs ne sont plus alimentés, il faut prendre les escaliers qui se trouvent dans le fond du couloir de droite. »
    La famille se dirigea vers les escaliers tandis que le gardien était rentré, probablement pour aller voir les médecins. Arriver au troisième étage, ils cherchèrent leurs chambres puis s’y installèrent rapidement, Steve et Mathilde dans l’une, Émilie et Jordan dans l’autre. Émilie s’exclama joyeusement :
    « Un vrai lit ! C’est génial et il y a même des toilettes ! »
    Elle alla dans la petite pièce des toilettes, tira la chasse et revenu tout enjouée :
    « Elle fonctionne ! J’espère que la douche aussi ! »
    Jordan esquissa un sourire en voyant à quel point sa sœur se satisfaisait ici, Steve et Mathilde ne tardèrent pas à rentrer dans la chambre, Mathilde annonça également joyeuse :
    « Je ne vous en veux plus de nous avoir conduit ici, c’est du moins la meilleure décision que vous ayez prise ! »
    Elle se posa sur le lit et se mit à lire le programme à voix haute :
    « Les repas se font à midi et au soir, poisson à midi, soupe au soir. Il est possible de sortir de la cour arrière uniquement durant l’après-midi, le toit est également accessible mais il est déconseillé d’y aller. Merci de remettre ce programme à l’accueil une fois avoir pris connaissance des règles. »
    Elle fit une pause et se leva en disant :
    « J’espère que vous avez tout retenu, je veux pas partir d’ici de sitôt, je vais aller ramener le programme à la dame puis je prendrais une bonne douche, ça fait tellement longtemps. »
    Alors que Mathilde avait quitté la chambre, Steve demanda avec un sourire :
    « Vous pensez qu’elle sera toujours aussi enjouée quand elle verra qu’on n’a que de l’eau froide ? »

      Jordan prit également une douche, bien que l’eau était froide cela restait agréable, puis vint l’heure du repas de midi. La cafeteria était remplie de monde, certaines personnes avaient l’air proche de la mort, beaucoup étaient gravement blésés, parfois mutiler. L’endroit était surtout rempli d’enfants, d’adolescent et de personnes âgées, très peu parlaient, trop occupé à manger. Jordan se vit servir une assiette de poisson cuit à la vapeur et de purée, la quantité était restreinte comme si attendait Jordan, il alla rejoindre le reste de sa famille qui s’était assis à une grande table déjà occupée par d’autres familles. Tandis que Mathilde, Steve et Émilie discutaient avec d’autres personnes, Jordan mangea dans le silence, il finit rapidement son assiette, la débarrassa et quitta la cafétéria. Il monta jusqu’au toit, la pluie et le vent s’étaient légèrement calmé mais le froid était toujours présent, cela ne découragea pas Jordan de rester dehors. L’endroit était très sale, verdâtre partout et tout aussi craquelé que les murs intérieurs du bâtiment, une bordure faite en acier prévenait des chutes, l’hôpital était l’un des bâtiments les plus hauts de la ville, ce qui permettait d’observer facilement les environs. Au loin, Jordan remarqua une église dont le clocher avait été détruit, de l’autre côté se trouvait le phare, ainsi qu’un tas de bateaux qui flottait au bord des quais dans tout sens, sans doute n’étant plus en état de naviguer, de vieilles usines était également présente sur le bord de la cité proche de hautes collines. Jordan s’accouda à la bordure et resta à observer la mer au loin, c’était la seule vue agréable qui ne rappelait pas la guerre présente dans les rues. Il ne savait combien de temps il était resté là quand Steve arriva, déclarant avec le sourire :
    « J’ai eu du mal à te trouver, qu’est-ce que tu fais ici tout seul ? »
    Jordan répondit sans conviction :
    « Je me détends l’esprit 
    -Ah ok…je vais te laisser seul alors, juste pour dire que Mathilde voit un médecin demain dans l’après-midi.
    -Ok, merci de l’info. »
    Steve semblait attendre plus de réaction de la part de son cousin mais ce ne fut pas le cas, il laissa Jordan seul, ce dernier ne bougeant pas. Jordan resta là, perdu dans ses pensées, de temps en temps, il entendait des coups de feu ou des explosions mais il n’y prêtait plus attention à force. Il était si pensif qu’il n’avait pas senti le temps passer mais lorsqu’il remarqua que le soleil se couchait, il se décida à rentrer, il n’avait même pas senti la pluie s’arrêter. Jordan retourna dans sa chambre, Émilie n’y était pas, elle devait sûrement être avec Mathilde et Steve, Jordan s’’allongea sur son lit et observa le plafond. Le reste de la famille arriva, Émilie expliqua avec joie :
    « C’est trop bien ici ! On a vu des chats dans la cour, j’ai même réussi à en caresser un »
    Jordan répondit par un sourire, Mathilde déclara :
    « On nous a indiquer qu’on pouvait déjà aller souper, tu viens ?
    -Allez-y sans moi, je n’ai pas faim, je vais plutôt dormir, j’ai déjà peu dormi la nuit passée… 
    -Ok à demain alors »
    Ils partirent, laissant Jordan seul, de son lit il arrivait à voir le ciel à travers la fenêtre, quelques étoiles brillaient déjà, Jordan finit par s’endormir tranquillement, rêvant de tout et de rien.

      Le lendemain matin, un rayon de soleil s’était invité à travers la fenêtre, réveillant en douceur Émilie. Elle se leva et regarda le lit en face du sien, son frère était déjà levé, surement occupé à prendre une douche ou à se promener dans les couloirs. C’est alors qu’elle remarqua une feuille posée sur le lit de ce dernier, elle reconnut l’écriture de son frère et commença à lire la lettre :
    « Je ne sais pas trop comment commencer ce mot, je n’ai jamais fait ça, en général on commence par « cher monsieur » donc là je vais dire « Cher famille », non ça fait trop officiel. Ce que je veux dire…J’aurais aimé profiter plus de la journée d’hier en votre compagnie mais cela aurait rendu la chose encore plus difficile, vous êtes en sécurité ici et ça, ça me rassure. J’ai longtemps réfléchi à ce qui se passe en ce moment et a tout ce qu’on a dû affronter et subir pour en arriver là, bien souvent à cause de mes décisions d’ailleurs, je vous ai mis en danger alors que mon rôle est de vous protéger. Cette guerre m’a transformé et cela a failli transformer Émilie aussi, heureusement malgré tout les problèmes qu’on a traversé ça c’est calmé, j’ai même vu hier qu’ici tu redeviens la petite fille que tu es censé être, ça me soulage. Ce que je veux dire- c’est plus dur que je le pensais même à l’écrit-ce que je veux dire c’est, c’est que j’ai décidé de partir, quand à vous, je veux que vous restiez ici, c’est le seul moyen que j’ai trouvé pour vous protéger. Steve, j’ai confiance en toi, t’es prudent, prends soin de mes sœurs s’il te plaît et je sais qu’avec Mathilde vous aller avoir un beau bébé, j’espère le voir un jour, promettez-moi de lui donner un nom cool. Émilie, promets-moi d’être sage avec ta sœur, je n’aime pas quand vous vous battez. J’espère que pour une fois j’ai su prendre la décision et que vous serez heureux même sans moi. Je serai toujours à vos côtés tant que vous penserez à moi, ne vous inquiétez pas. Je       vous    aime »
    La lettre était remplie de rature et l’encre avait coulé par endroits, sûrement dû aux larmes de Jordan, les mêmes larmes qui coulaient actuellement sur les joues d’Émilie en ce moment, elle ne pouvait s’empêcher de pleurer. Son frère était parti, sans prévenir, sans dire où il allait, elle ne le verrait sans doute plus jamais. Elle espérait à une mauvaise blague mais non, ses affaires avaient disparus, il leur avait écrit une lettre d’adieu. Quelqu’un toqua à la porte, sans savoir pourquoi Émilie cacha rapidement la lettre sous l’une des couettes, et alla s’enfermer dans les toilettes avant d’inviter la personne à entrer. Mathilde s’exclama de bonne humeur :
    « Allez debout là-dedans ! Ben vous êtes où ? »
    Émilie tenta de parler normalement alors qu’elle continuait de pleurer, se forçant de calmer sa peine :
    « Je suis là 
    -Et Jordan il est où ? »
    C’est ce qu’elle aurait aimé savoir elle aussi mais elle n‘en savait rien, elle se contenta de répondre :
    « Je sais pas »
    Sa sœur râla de l’autre côté de la porte :
    « Il doit encore se promener tout seul je ne sais où, je ne sais pas ce qu’il a depuis hier, il commence à m’énerver sérieusement. Bon, moi et Steve on va prendre une douche et après on va aller donner un coup de main en cuisine, si jamais tu veux nous rejoindre. »
    Elle sortit de la chambre en fermant la porte, Émilie ressortit des toilettes, les yeux toujours humides, elle reprit la lettre une deuxième fois, elle observa la feuille comme si c’était la chose la plus importante au monde, alors qu’elle l’avait reposé sur le lit, elle vit qu’une phrase avait été écrite au dos, ce qu’elle s’empressa de lire :
    « Émilie, je t’ai laissé un cadeau sous mon matelas mais promets moi de ne pas t’en servir, je te laisse en symbole du lien qu’il y a entre nous, chaque fois que je te manquerais, tu n’auras qu’à le regarder et je serai de nouveau à tes côtés. »
    La jeune fille s’empressa de lever le matelas, découvrant un objet qu’elle n’avait plus vu depuis longtemps, le poignard qu’elle avait récupéré il y a de ça plusieurs mois. Elle se remémora tout le chemin traversé depuis, tout ce qu’elle avait vécu, les bons comme les mauvais moments. Cette guerre lui avait fait perdre sa maison, ses amis et maintenant son frère, Émilie serra le poignard dans ses mains, tandis que des larmes coulaient sur ses joues. La jeune fille savait que si désormais la vie ne serait plus comme avant, elle se promit de se battre pour ne plus subir cette guerre mais qu’au contraire, elle était prête à l’affronter.

     

     

    FIN

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